« Le fou se croit sage et le sage se reconnaît fou » 2/9

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Les premiers jours passèrent et Lucie se trouvait déjà fort occupée. Rien de vraiment exceptionnel, certes. Mais les retouches pour lesquelles on la sollicitait suffisaient à payer son loyer et son plat de pâtes du soir.

Elle en était donc là, modeste mais satisfaite, quand Daphné, une ancienne collègue de la banque, devenue depuis plusieurs années une amie, vint lui rendre visite.

En quelques secondes, elle embrassa du regard le nouveau cocon de Lucie. Elle s’extasia à plusieurs reprises sur la chaleur des lieux, sur les talents de Lucie qui avait si bien su transformer cet endroit sinistre en un sublime boudoir et sur la clairvoyance qui l’avait amenée à quitter une situation stable mais beaucoup trop étriquée pour elle. En résumé, elle prononça précisément tous les mots que se devait de prononcer une amie en pareille circonstance.

Une fois la tâche accomplie, Daphné cessa soudainement son babillage  et prit un ton des plus sérieux pour annoncer:

« Lucie, je dois t’apprendre une grande nouvelle: Gaspard et moi allons nous marier! »

Effusions de joie, embrassades et félicitations en pagaille. Rien de plus normal.

« Tu sais bien sûr que Gaspard est très attaché aux traditions. Nous respecterons les coutumes suivies par sa famille depuis des générations. Pour commencer, nous nous fiancerons le mois prochain. Et je voudrais que tu crées ma robe pour cette journée exceptionnelle. »

Immédiatement, Lucie se sentit plus inquiète que flattée. Bien sûr, il s’agissait d’une opportunité comme il ne s’en présentait que rarement. Derrière la robe de fiançailles se cacheraient peut-être celles, sûrement très nombreuses, des demoiselles d’honneur, les noeuds papillon et gilets des témoins, les tenues des mères des mariés et, qui sait, peut-être même LA robe, ce qui pourrait devenir son grand-oeuvre, une création dont elle serait fière et qui lui assurerait des commandes pour les dix années à venir. D’un autre côté, elle connaissait Daphné. Si c’était sa seule réticence, elle était de taille.

Daphné était une personne adorable. Elle aimait recevoir ses amis et répondait toujours présente quand la vie avait choisi de ne pas vous épargner. Mais, Daphné savait aussi se montrer intraitable. Lucie l’avait déjà vue faire pleurer des collègues qui n’avaient pas travaillé comme elle l’avait espéré et même une serveuse qui manquait de rapidité. Elle avait aussi, à maintes reprises, été témoin de son extrême mauvaise foi qui pouvait la conduire à rejeter la faute, quelle qu’elle soit, sur quiconque passait à portée de voix de son bureau plutôt que d’assumer elle-même une responsabilité qu’elle jugeait dérangeante.

C’est cet aspect de la personnalité de Daphné qui inquiétait Lucie. Ne risquait-elle pas de mettre en péril leur amitié en acceptant de travailler pour elle?

Mais, avant toute chose, Lucie était une bonne amie. Et lorsqu’elle vit le regard de Daphné étinceler de joie anticipée à l’idée de porter pour ses fiançailles une robe unique et d’une satisfaction tout à fait actuelle en s’imaginant être en train de commettre un acte de grande  générosité envers son amie nouvellement indigente qui avait tout quitté pour aller faire des ourlets dans un trou à rats; quand elle croisa ce regard, Lucie accepta d’un grand « Oui ». Et elles s’offrirent immédiatement une grande tasse de thé pour célébrer leur prochaine collaboration.

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