« Le fou se croit sage et le sage se reconnaît fou » 3/9

2018-03-12 14.24.26.jpgÀ compter de cet instant, tout s’emballa pour Lucie. Elle se trouvait stimulée par ce défi et avait à coeur de ne pas décevoir cette amie qui avait été la première à lui accorder sa confiance.

Elle passa d’abord plusieurs soirées en compagnie de Daphné pour saisir exactement les caractéristiques du modèle qu’elle avait en tête. Elle veilla ensuite des nuits entières pour dessiner ce qui devait être la rencontre parfaite entre ce que Daphné avait imaginé et ce qui la mettrait le plus en valeur.

Lorsque Lucie soumit à Daphné ses cinq dessins les plus aboutis, elle se sentait tout à la fois inquiète et incroyablement excitée. La réaction de Daphné la rassura immédiatement.

« Merci pour cet incroyable travail Lucie! Tu es si talentueuse. Tout est magnifique. Je voudrais me fiancer cinq fois. »

Daphné choisit un modèle. Il fut alors question de mesures à prendre et de toile à coudre. Lucie consacra une semaine entière, jours et nuits, à créer ce modèle aux exactes mesures de Daphné. Elle cousait pendant des heures sans lever les yeux de sa machine, entièrement absorbée par son désir de produire quelque chose de beau. Et elle y parvint.

Ses efforts furent plus que largement récompensés le jour où Daphné vint à la boutique essayer la toile. Le tissu était franchement laid et aucune finition n’était faite, mais, déjà, Daphné resplendissait. Il ne restait que quinze jours avant la réception. Il était grand temps de choisir l’étoffe dans laquelle serait cousue la robe.

Là, tout de suite, Daphné n’avait pas le temps. Elle avait rendez-vous avec sa future belle-mère pour commander des fleurs. Mais, promis, elle reviendrait le lendemain pour passer en revue le catalogue de tissus avec Lucie.

Mais, le lendemain, Daphné se sentait fatiguée et fut contrainte d’annuler leur rendez-vous. Elle ne put le reporter au surlendemain, étant déjà engagée auprès de sa grand-mère.   De petits tracas en manque de motivation, il fallut à Lucie pas moins de trente-sept coups appels et près de dix jours pour parvenir à voir son amie.

Lorsque Daphné parvint enfin à lui consacrer un peu de son temps, Lucie fit tout pour être la plus efficace possible. Elle avait mis ces dix jours à profit pour écumer les merceries de la région. Elle avait sélectionné de nombreux échantillons qu’elle avait classés soigneusement par fournisseur et en y adjoignant un petit croquis permettant d’en estimer le rendu en fonction du modèle.

Ses efforts portèrent leurs fruits. Daphné jeta presque immédiatement son dévolu sur un satin d’un vert éclatant qui mettrait ses yeux en valeur. Il ne restait plus à Lucie qu’à aller acheter le précieux tissu et à commencer à coudre. Pas de temps à perdre. La fête avait lieu dans cinq jours.

L’optimisme de Lucie fut réellement mis à mal le lendemain matin, lorsque, à l’ouverture de la mercerie, la vendeuse lui annonça qu’elle avait vendu le dernier mètre du tissu la veille au soir. Elle fut prise de panique et tenta immédiatement de joindre Daphné qu’elle sortit manifestement du lit. Mal réveillée, elle se montra froide et cassante, lui signifiant sans plus de manières qu’elle avait fait un choix et « n’était pas responsable de ses problèmes d’intendance ». Il appartenait à Lucie de trouver une solution par elle-même.

Assise au volant de sa petite voiture sur le parking de la mercerie, Lucie se sentit amère. Il n’y avait pas la moindre trace d’amitié dans les paroles de Daphné. Elle se surprit à regretter le temps passé sur ce projet avant de se ressaisir. Daphné devait être soumise à une pression très importante avec les préparatifs de ses fiançailles et la vie qui ne s’arrêtait pas pour autant. Elle avait trop travaillé sur ce projet pour abandonner maintenant. Elle s’extirpa de la voiture et retourna dans le magasin dans l’espoir de trouver une étoffe qui pourrait lui convenir. Après plus d’une heure de recherche et malgré l’aide bienveillante de la vendeuse, elle dut se rendre à l’évidence: aucun tissu n’aurait la même couleur et le même tombé que celui qu’avait choisi Daphné. Lucie se trouvait prise au piège du travail qu’elle avait réalisé. Tous ces croquis et ces échantillons avaient figé le modèle. Elle aurait dû se contenter de proposer une robe verte.

Elle en était là de ses réflexions, assise à même le sol entre deux rayons, lorsque la vendeuse se pencha vers elle:

« Il reste cinq mètres de ce satin dans notre magasin de Schiltigheim. Souhaitez-vous que je demande à mes collègues de nous les expédier en boutique? Nous pourrions les avoir d’ici trois jours. »

Trois jours… Il lui resterait une seule journée pour coudre le modèle, procéder aux essayages avec Daphné et effectuer les dernières retouches. C’était trop juste. Si l’expédition du paquet prenait le moindre retard, elle se retrouverait sans aucune solution à la veille de la réception.

« Pouvez-vous leur demander de me le mettre de côté? Je vais le chercher. »

La vendeuse sembla surprise à l’idée qu’on puisse parcourir plus de mille kilomètres pour cinq mètres de tissu, mais elle eut la gentillesse de ne pas faire la moindre réflexion et de se contenter de prévenir la boutique de l’arrivée de Lucie en fin de journée.

7 Replies to “« Le fou se croit sage et le sage se reconnaît fou » 3/9”

  1. C’est con mais j’ai le cœur qui bat en lisant cette course contre la montre.
    Et pis j’aime vraiment pas Daphné. Je ne la trouve pas à la hauteur de toute cette énergie que Lucie dépense pour elle.

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