« Le fou se croit sage et le sage se reconnaît fou » 8 et 9/9

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Lucie était abasourdie. Écoeurée serait un mot plus juste. Elle dut s’allonger dans son fauteuil pour ne pas perdre connaissance. Qu’était-il arrivé? La réalité dans laquelle elle vivait s’était-elle soudainement dissociée de celle où évoluait Daphné? Elle ne trouvait aucune explication raisonnable à ce qu’elle venait de lire.

Après plusieurs minutes et un sac de larmes de rage coincé dans la gorge, elle se redressa pour écrire un mail à Daphné.

« Je viens de recevoir ta lettre. Je ne comprends pas. Dépose-moi ton satin ou laisse-le-moi à l’accueil de la banque. Je ferai au mieux pour tenir ton délai. »

Lucie n’eut pas longtemps à attendre pour lire la réponse de Daphné qui la plongea dans l’expectative.

« Lucie,

Je ne comprends pas de quoi tu as encore besoin. Tout t’a été remis. Nos relations n’ont jamais été si compliquées et j’en suis extrêmement blessée. Pour la robe précédente, tu ne m’as pas sollicitée de la sorte et je ne vois aucune raison à ton changement d’attitude. Si tu entretiens de la rancoeur à mon égard, je te demande instamment de te montrer professionnelle et de ne pas confondre notre lien personnel et ton activité. Tu m’as mise dans une situation suffisamment difficile comme ça vis-à-vis de ma famille. Ce que je crains, c’est que tu cherches à me faire endosser des manquements imaginaires pour masquer ton incompétence. Si ce projet était trop ambitieux pour toi, il aurait été plus convenable de le refuser. Je voulais simplement te mettre le pied à l’étrier, mais j’aurais très bien compris que tu ne sois pas capable d’une telle création. En tant que cliente, je n’ai pas à pâtir de tes difficultés, quelles qu’elles soient. Je compte sur toi pour avoir recours à l’aide dont tu as besoin et laisser de côté tes ressentiments. Ceci devrait te permettre de livrer ma robe vendredi et nous pourrons ainsi oublier cet épisode douloureux de notre histoire.

Daphné. »

Lucie se sentit submergée de peine, de colère et d’hébétude, tout à la fois. Il n’était pas possible que Daphné puisse réellement croire en ce qu’elle écrivait. Elle devait bien savoir qu’elle ne lui avait confié la confection de la robe que très tardivement. Elle ne pouvait pas non plus ignorer qu’elle ne lui avait jamais donné le plastron familial qu’elle devait intégrer à la robe et que c’était précisément ce retard qui bloquait Lucie.

Elle se sentait devenir folle et se mettait à douter de tout. Elle ne pouvait concevoir que Daphné ait délibérément choisi de lui mentir et de la manipuler. Elle considérait plus plausible que sa propre santé mentale soit en cause.

Ce n’est qu’après plusieurs heures sacrifiées à ratisser le moindre mètre carré de son appartement et de sa boutique sans y trouver aucune trace du fameux coupon et de nouvelles heures interminables à relire tous les mails échangés avec Daphné depuis la création de son atelier sans y croiser la moindre allusion à sa robe de mariée que Lucie accepta l’évidence. Pour une raison qui lui échappait, Daphné l’accusait de fautes qu’elle n’avait pas commises.

Elle passa une bonne partie de la nuit à tenter de comprendre son amie. Elle imagina qu’elle avait perdu le précieux satin confié par sa belle-mère. Mais elle avait commencé à agir étrangement bien avant ça. Peut-être ne souhaitait-elle plus se marier? Mais un simple contretemps vestimentaire ne suffit pas à compromettre une union.

À l’aube, Lucie se résolut à admettre qu’elle était incapable de deviner les motivations de Daphné. La colère qu’elle ressentait ne s’était pas apaisée lorsqu’elle appela Daphné pour obtenir une explication de vive voix. Mais Daphné parut tout aussi convaincue de sa version des faits à l’oral qu’à l’écrit. Elle ne changea son récit à aucun moment et continua obstinément à accuser Lucie d’amateurisme.

À court d’arguments, Lucie exposa à Daphné que toute confiance étant rompue, il ne lui était plus possible de se consacrer à ce projet. Elle renonçait au paiement du travail qu’elle avait déjà fourni et même à celui de la robe de fiançailles, mais elle ne voulait plus entendre parler de ce mariage. Mais Daphné ne comptait pas en rester là. Les courriers qu’elle avait adressés à Lucie mentionnaient tous l’existence d’un contrat entre elles et Lucie ne l’avait jamais contesté au cours de leurs échanges. Si elle refusait, à dix jours des noces, d’honorer son engagement, Daphné lui promettait déluge d’avocats et de quoi ternir à tout jamais sa réputation.

Triste et lasse de lutter, Lucie abdiqua et raccrocha sans même répondre aux menaces de celle qu’elle avait cru être son amie.

Elle pleura quelques minutes et prit une longue douche chaude pour laver la nuit blanche qui pesait sur ses paupières. Elle se rendit, épuisée, à la mercerie la plus proche de chez elle pour y acheter un tissu magnifique. Elle ne pouvait rien faire pour l’empiècement qui semblait avoir disparu, mais elle était bien décidée à ne pas s’abaisser à coudre une robe au rabais. Lucie allait réaliser la plus belle pièce qu’elle ait jamais créée. Daphné serait divine le jour de son mariage et Lucie espérait bien qu’elle regretterait son attitude en mesurant le travail qu’elle aurait accompli.

Elle ne prit pas le temps de rentrer chez elle pour déjeuner et se reposer, mais se rendit immédiatement à son atelier pour commencer à patronner cette robe qui avait déjà pris forme dans sa tête.

Entièrement absorbée par toutes les étapes de la réalisation qu’elle s’efforçait d’anticiper en pensée, Lucie ne comprit pas tout de suite ce qui l’empêchait d’ouvrir la porte de son magasin. Il lui fallut plusieurs secondes à forcer sur le battant en verre pour se rendre compte qu’une grosse enveloppe était coincée entre le chambranle et le parquet. Elle posa ses sacs et s’appliqua à arracher le pli de sous la porte sans l’abîmer tout en pestant contre le facteur indélicat avant de s’apercevoir que l’enveloppe ne portait ni timbres ni adresse et avait donc été directement déposée par son expéditeur. Victorieuse, elle ramassa ses affaires et ouvrit distraitement le paquet tout en se préparant une tasse de thé. Elle en sortit un joli papier de soie qui emballait le magnifique satin brodé confié à Daphné par sa belle-mère.

8 Replies to “« Le fou se croit sage et le sage se reconnaît fou » 8 et 9/9”

  1. Je continue à penser qu’il fallait casser les genoux de Daphné mais surtout j’admire la petite Lucie qui rebondit, elle va certainement sortir grandie de cette histoire de fous ! Car je suis sûre qu’elle va coudre avec brio LA robe qui clouera le bec à tout le monde.
    Bravo pour ce suspense incroyable. J’espère que tu nous feras à nouveau le plaisir de partager tes jolis mots !
    Bon dimanche !

  2. Histoire joliment écrite….bravo miss !
    J’espère au moins que la robe de Lucie lui apportera le succès dans son entreprise !!
    Et à Daphné on lui souhaite quoi ? un divorce rapide ?!! hihihihihi !

  3. Vraiment, bravo bravo bravo ! J’ai adoré ces 9 textes !!! Vraiment ! Mais dis moi que ce n’est pas fini ? !!! Tu m’as tenue en haleine, tu m’as fait ressentir des émotions fortes avec ces mots ! Encore bravo ! Et alors…. Ce livre ??? 😘

  4. Ah la la, j’ai encore l’estomac noué. Je trouve ça tellement injuste que Daphné s’en tire à si bon compte! Au moins Lucie aura t’elle ouvert les yeux sur son « amie ».

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